A la recherche de témoignages
et documents sur le Vel'd'hiv'

Le Vel'd'hiv', théâtre de la monstruosité de 1942, est un lieu de mémoire essentiel mais fuyant: bâtiment détruit, absence de photos, confusions chronologiques et tabous, zones d'ombre persistantes.


Avant que les derniers témoins disparaissent, veldhiv.org veut éclairer ce passé.


Témoignages, documents, photos, courriers, dessins ou articles d'époque... veldhiv.org lance un appel aux internautes pour que la mémoire reste vive.

1940, le premier Vel'd'hiv': la République rafle des réfugiées

Deux ans avant l'atrocité sous Vichy de la Grande Rafle du Vel'd'hiv', la République mène une première rafle au Vel'd'hiv'. Une rafle contre des réfugiées, des « femmes allemandes », qui sont dans les faits des antinazies et des persécutées confessionnelles - majoritairement Juives.

15 mai 1940, la « drôle de guerre » est finie. Le front est enfoncé à Sedan. Les « femmes allemandes » sont convoquées au Vel'd'hiv', avec pour alternative... l'arrestation. Il s'agit, en fait, d'un enfermement massif délibéré. L'énorme vélodrome est transformé pour la première fois en centre d'internement.
Les 5.000 internées y seront enfermées de une à trois semaines. Sans journaux. Sans communications. A l'intérieur, des militaires; à l'extérieur, la police. Rien pour se laver. Des toilettes rapidement bouchées et inutilisables - puis soumises au regard des policiers. Pas d'abri anti-aérien malgré un toit de verre, des alarmes, des déflagrations... Pas de ventilation. Un étouffoir « plein de paille, de peur, et de corps ». Le désespoir d'une trahison de la France,


Le Figaro du 16 mai 1940 signale les patrouilles de police.

"Terre d'asile"...et une terreur: tomber finalement aux mains d'Hitler. A manger et de l'eau toutefois, et aucune brutalité rapportée.
Suspectées d'être des agents du Reich (même déchues de leur nationalité, titulaires de la carte de réfugiée en règle, voire naturalisées), les réfugiées allemandes sont considérées comme « ressortissantes » ennemies. Début juin, on expédiera encore des femmes au Vel'd'hiv' depuis les hôpitaux, les commissariats. Entre-temps, la rafle des « femmes allemandes », vraie singularité française, s'est étendue à toute la France...
Transférées au camp de concentration français de Gurs, six de ces « femmes de mai » mourront dès l'été (dont Martha Mendel, première défunte, avant même la chute de la IIIème République).


Un tabou français


Une partie de ces femmes, internées par la République, entreront dans le tunnel de Vichy, ainsi Lilo Petersen qui témoignera. Certaines en mourront: soit au camp de Gurs dès le terrible hiver 1940, soit en déportation comme Mary Fuchs ou Bertha Gradenwitz. Quelques unes seront même reprises lors de la Grande Rafle de 1942, ainsi Sidonie Gobitz. Le Vel'd'hiv' de 1940 n'est pas antisémite mais les étrangères « originaires du Reich » deviendront majoritairement


Témoignage de Marianne Gesundheit, internée
au Vel'd'hiv' par la République, en mai 1940.
(© D. B. 2010)

des Juives étrangères ou « apatrides » aux yeux de Vichy (voire pour les antifascistes militantes des « ennemies du Reich »).


2010... inconcevable!


En 1940, l'antifascisme et la recherche d'un asile relient plus ces femmes que leur appartenance confessionnelle. Contrairement aux hommes réinternés en 1940, puis dispersés dans plusieurs camps, elles sont internées pour la première fois et toutes transférées dans un seul camp. Le destin des hommes qui ne croise pas le Vel'd'hiv' est parfois évoqué. Celui des femmes est passé sous silence ou confondu avec la Grande Rafle de 1942... alors déplacée

en mai 1940, quand le Vel'd'hiv' de 1940 n'est pas déplacé sous Pétain... ou Vichy sous la République! Un vrai symptôme d'aliénation mémorielle qui redouble le refus pur et simple des faits.
Malgré la présence de grandes intellectuelles et personnalités, de Dita Parlo (la star de La Grande Illusion), de très nombreuses futures résistantes, de féministes... même en 2010, le Vel'd'hiv' de 1940 reste à la fois un tabou français et un « orphelin » de l'histoire (**).

Denis Blanchot

(*) Titre de la postface des « Oubliées », seule monographie disponible à ce jour.
Voir présentation synthétique sur le WebPédagogique, ici.

 

Arrêtées, tirées du lit

Parmi nous, il y avait des femmes d'officiers et soldats français, des femmes volontaires qui se tenaient à disposition des organisations d'aide dans l'armée française; des femmes d'hommes politiques de Weimar connus et persécutés; des femmes qui s'étaient fait un nom à elles par leur engagement politique.[...]

Certaines avaient été arrêtées dans la rue et mises au centre de rassemblement. Certaines tirées du lit et amenées au Vélodrome d’Hiver. Beaucoup étaient venues finalement de leur plein gré croyant, de bonne foi, qu'une séparation d’avec les nazies, les véritables ennemies, devrait s'ensuivre. Les habitations restèrent ouvertes et inhabitées.

Elsbeth Weichmann, Zuflucht, Jahre des Exils, P. 82 et 84-85 (Albrecht Knaus)

Hannah Arendt !

« Que peut-il arriver à tant de gens? » pensais-je. La foule me donnait un sentiment de sécurité. J'avais beaucoup vu, lu pas mal de choses, et je n'avais rien compris.

[…] Devant nous, il y avait Hannah Arendt avec son groupe. Je la connaissais bien. J'avais parfois tapé à la machine pour elle. […]

La nuit nous entendions les détonations assourdies de la DCA. […] Ce bâtiment avait une verrière. Qu'on imagine la panique si cette verrière se brisait en mille morceaux.

[…] Une semaine plus tard à peu près, la nervosité générale avait augmenté.

Käthe Hirsch, Dans le camp de rassemblement parisien du Vélodrome d'hiver, annexé dans Vivre à Gurs de Hanna Schramm et Barbara Vormeier (Maspero)

« J'ai tellement pleuré »

J'ai tellement pleuré que je me demande si j'ai même mangé.[...]

Tout à coup, j'ai été enfermée là-dedans. Je n'avais rien fait. Punir quelqu'un qui ne fait rien, qui n'a rien fait? Et je n'étais plus Allemande. Mon père a renoncé à sa nationalité en 1936 et demandé à être naturalisé. Tous les papiers étaient prêts. On en était presque au dernier décret. Papa voulait être Français. Il croyait à la France.

[…] J'avais 19 ans, j'étais modiste […] Et je suis partie au Vélodrome avec une petite robe d'été, des chaussures de ville, et un tout petit peu de linge de change. Rien d'autre. […] Je croyais à une simple vérification de papiers.

Marianne Gesundheit, témoignage dans la postface de Les Oubliées.

L'enfant infirme

L'enfant infirme, cette Renée de 14 ans avec ses longues tresses marron – comment, particulièrement, a-t-elle pu arriver ici, les enfants sous l'âge de 17 ans ne devant pas être internés? - sortait en clopinant sur ses béquilles [NDR: de la visite médicale de « criblage »]. Malgré sa paralysie infantile, elle avait été trouvée apte. Pour les militaires, apte signifiait apte au service, ici cela signifiait pleinement apte au camp. « Je m'en fous royalement », ria-t-elle en sautillant plus loin. […]

Les médecins semblaient sourds et ne disaient que apte – apte – apte. Les femmes passaient devant.

« Docteur, j'ai... »

« Apte. La suivante. »

Lisa Fittko, Mein Weg über die Pyrenaën, 1940/41, p.20 (Carl Hanser Verlag)

 

(© D. B. 2010)

Nombre d'internées de mai 1940 feront partie des premiers résistants en France. Ainsi Lore Krüger (notre précédente vidéo) effectuera du "travail allemand": c'est-à-dire du renseignement et de l'appel à désertion auprès des soldats occupants, avant de partir pour les Etats-Unis où elle animera le journal antinazi "The German American".
De nombreuses femmes allemandes regroupées au Vel'd'hiv ou en province figureront dans les rangs de la Résistance française, aux côtés d'hommes allemands, jusqu'à en constituer un quart en 1940/41. A de rares exceptions près, leur souvenir se perdra. "A la Libération, l'histoire a été nationalisée, virilisée et, pour ce qui concerne la Résistance, héroïcisée... Il fallait des garçons, français et avec des mitraillettes!", explique Rita Thalmann, historienne essentielle de la période, qui rappelle que "l'histoire de la femme est jugée mineure: pour quoi faire? à quoi bon?"

Bien des noms, modestes ou même célèbres de femmes du Vel'd'hiv' de 1940 restent à établir; bien des destins, heureux ou tragiques. Tant reste à éclairer sur ce véritable prisme historique.
Combien de femmes exactement au Vel'd'hiv'? Les opérations de police ont-elle sollicité les fichiers? Combien de convois pour Gurs? Y a-t-il eu des hommes aussi début juin (réfugiés "belges")? Combien de résistantes futures ou déjà déclarées... contre combien d'« agents du IIIème Reich » identifiées? (A ce jour, aucune à notre connaissance.) Les angles sont si nombreux: féminisme, maintien de l'ordre, historiographie, antifascisme, résistance, culture...
Dans tous les cas, par le lieu, les forces impliquées et massivement par sa cible ("allemande" ou apatride - mais majoritairement juive), le Vel'd'hiv' de 1940, celui de la République, préfigure celui de 1942, par Vichy et ne peut rester dans l'ombre. Serge Klarsfeld l'a inscrit à juste titre dans son Calendrier de la persécution des Juifs de France 1940-1944.

Extrait de Candide du 22 mai 1940.
(Noter que la censure a fait son apparition dans les journaux.)

Nous ne disposons malheureusement ni des articles évoqués du Populaire ou de l'Oeuvre, ni d'autres prises de paroles possibles (syndicales, politiques, intellectuelles...).

 
 


Derrière l'oubli malgré les articles d'époque du Vel'd'hiv' de 1940... une autre mémoire à garder
vive impérativement, celle du camp de concentration français de Gurs, le plus grand camp
d'internement du Sud de la France, celui-là même où naîtra véritablement la Cimade.


Gurs, le cimetière

Gurs, reconstitution

Un "Juste" ignoré?

L''armistice du 22 juin exige de livrer au Reich ses ennemis. Mais, le 24, le commandant Davergne ordonne de brûler les documents administratifs sur les « femmes de mai » et de laisser partir toutes celles qui le peuvent (physiquement et financièrement). Combien en sauve-t-il sur les 9.771 (ou plus) que comptera Gurs après l'extension de la rafle à toute la France?
Ce futur résistant est-il un Juste, à l'instar d'Aristide de Sousa Mendes qui délivre au même moment des milliers de visas portugais aux Juifs et aux antinazis, passant outre les directives de son gouvernement?
Rien d'équivalent ne s'est produit à notre connaissance dans aucun autre camp français à l'exception du "Train des Mille", le 22.


Le Populaire - 14 mai 1940
 
 
Textes et photos
Denis Blanchot
Illustrations
Mélisa Machuret
Réalisation
Publirom
Contact
contact@veldhiv.org

Avec la participation
des éditions Jacob-Duvernet

Directeur de publication: Luc Jacob-Duvernet
Association veldhiv.org en cours de constitution.
Adresse: veldhiv.org, SFG, 134, rue du Bac, 75007 Paris.
Tel: 01 42 22 63 65.